Terrasson - Loisirs/Culture: Terrasson : Travelling, sur une belle dynamique - Mercredi, 13 Mars 2024 12:36
Terrasson - Sport: Dordogne : Gaëlle Mignot portera la Flamme le 22 mai - Samedi, 09 Mars 2024 00:00
Terrasson - Société: Terrasson Fruisec : négociations salariales 2024 - Mardi, 12 Mars 2024 18:33
Terrasson - Loisirs/Culture: La Bachellerie : le relais est assuré au comité d'animation - Samedi, 09 Mars 2024 00:00
Terrasson - Sport: Judo Terrasson : de belles participations - Samedi, 09 Mars 2024 00:00

07
Nov
2020

J.C. Guillebeaud : débat "La parole, les actes" avec l'ARES

PDFImprimerEnvoyer

EWANews - Portraits

(5 votes, moyenne 2.60 sur 5)

Article du 12 décembre 2019.

Jean-Claude Guillebeaud, écrivain, conférencier, journaliste grand reporter et ancien correspondant de guerre pendant 26 ans, auteur d'une trentaine d'ouvrages, tout comme le 2ème invité de l'ARES*, Mgr Albert Rouet, ont animé, jeudi 12 décembre 2019 au centre socio-culturel du Lardin, une rencontre-débat sur le thème "Les paroles et les actes".

Ancien grand reporter pour Le Monde et Le Nouvel Observateur, Jean-Claude Guillebeaud a aussi cofondé et dirigé Reporters sans frontières dans les années 80, et a été directeur littéraire au Seuil et publié trois ouvrages de Jacques Ellul dont La parole humiliée (1981) et Changer de révolution (1982). En 1995, il publie une série de six gros essais de sciences humaines sous le titre générique Enquête sur le désarroi contemporain (selon la page Wikipédia) Son dernier livre s'intitule "Sauver la beauté du monde"...

Devant une salle comble, le débat introduit par Françoise Gy-Gauthier de l'ARES, est parti de ces remarques : "la parole produit du sens et prépare l'action, d'où la nécessité de ne pas parler à la légère. Or, on ne cesse d'entendre : assez de paroles, assez de discours, on veut des actes. Et lorsque les actes sont lancés, il y a souvent une fracture, une contestation et un refus."

Les deux invités se sont passé le micro en relais, produisant un dialogue d'une grande richesse. Parmi les meilleurs moments, retenons la référence de Jean-Claude Guillebaud au philosophe Jacques Ellul, son ancien professeur « compagnon de route » et l'un de ses « pères spirituels ». Son livre, édité au Seuil en 1981 : "La parole humiliée", était, selon lui, prémonitoire de ce à quoi l'on assiste aujourd'hui, quand il dénonçait l'effacement de la pensée, amollie par une indifférence généralisée. Pour Jean-Claude Guillebeaud, "si Jacques Ellul était encore vivant, il appellerait son livre aujourd'hui La parole profanée, parce que nous sommes désormais dans une société qui profane la parole, à tous les étages de l'échelle sociale." En effet, "lorsque tout est semblable à tout, la parole ne fait plus sens et perd son essence", faisant circuler seulement l'enflure et le dérisoire, jusqu'à faire le lit de l'exaspération et de la violence.

"La parole organise notre vie ensemble..."

Notre intervenant, Jean-Claude Guillebeaud, explique : "sur les réseaux sociaux, avec l'injure, la méfiance, les soupçons, il y a quelque chose qui s'effrite et qui est en train de ruiner la parole : c'est la confiance. Si vous ne croyez pas à ce que quelqu'un vous dit, la parole n'a plus de pertinence, plus de raison d'être". Devant la crise actuelle, sans prendre de point de vue politique, il dénonce "une pratique devenue courante chez nous et dont les citoyens devraient s'indigner : quand il y a un problème, on donne aux ministres des éléments de langage, des arguments tous prévus, pour savoir comment ils vont répondre aux syndicats, aux enseignants... On leur insuffle un langage fabriqué par les communicants".  Jean-Claude Guillebeaud continue : "Ce qui me surprend le plus, c'est qu'on est tellement dans la main des communicants, les politiques eux-mêmes, que personne ne proteste. C'est devenu banal, on devrait courir dans la rue pour hurler et on reste inertes. J'ai connu assez de situations tragiques dans le monde pour savoir que, quand la parole ne fonctionne plus, tout peut arriver, elle est remplacée par la violence. La parole est donc quelque chose de précis, de fondamental, qui organise notre vivre ensemble." L'invité cite l’exemple d’un professeur qui était très remarqué en bien par ses élèves. Un lycéen de 14 ans lui avait expliqué : « quand il nous parle, on comprend qu’il croit ce qu’il dit ». Et M. Guillebeaud ajoute : « c’est une phrase magnifique. C’est-à-dire qu’il habite sa parole. Une parole a besoin d’être habitée, d’être portée, d’être transmise ».

« La parole peut être gangrenée par le mensonge, par le fait de ne plus être habitée » dit Jean-Claude Guillebaud. L’ancien journaliste cite en exemple les discours politiques où il a toujours pris en grippe les communicants qui regardent la « stratégie de dire cela, d’afficher tel projet, à ce moment-là » et de faire que dans les médias « on ne parle que de ça ! Ce qu’Ellul appelait l’accessoire. On ne parle pas des contenus mais des stratagèmes ». Pour souligner le danger de « la parole qui ne correspond plus à la réalité », il cite alors Edgar Morin : « si on ne parle pas comme on vit, on se condamne à vivre comme on parle ». Pour lui, le mensonge effacera la vie, la réalité et la confiance.

Quant à s'orienter vers ce que nous pouvons faire, pour restaurer des relations de parole, effectivement vivantes et efficientes, Mgr Albert Rouet, théologien et auteur de nombreux ouvrages, a remarquablement contribué à nous éclairer, en quatre étapes très instructives. Tout d'abord, il a rappelé qu'étymologiquement "parole et acte" se disent de la même façon dans beaucoup de langues : "logos" en grec, "davar" en hébreu qui veut dire parole, acte,  événement. Autrement dit, il n'y a pas de distinction première. "Ce qui compte", dit-il, "c'est l'expression de la personne, qui s'exprime en paroles et en actes. Mais par des mots ou des gestes,  la personne essaie de traduire sa pensée, et traduire c'est toujours un peu trahir. Autrement dit, dans notre pensée, la clarté ne  vient pas au début, mais souvent après. Donc, c'est compliqué de comprendre l'expression d'une personne. En deuxième point, comme nul ne lit dans la tête des autres, on interprète, et à partir de quoi ? D'une histoire, de ce que vous avez vécu... On comprend à partir d'un contexte qui parfois n'aide pas à la compréhension..."

"La parole qui mérite confiance est désintéressée"

Mgr Albert Rouet cite, comme exemple, le problème du "climat très inquiétant en France vis à vis des personnes qui viennent du monde arabe et musulman, que l'on ne comprend pas... C'est notre interprétation qui va estimer si notre parole correspond aux actes, ceux que l'on attend. C'est nous qui faisons le lien pour savoir si les actes sont conformes à la parole. Mais l'autre peut comprendre notre expression complètement à faux. D'où cette interrogation : Qu'est-ce qu'on va  tenir pour vrai ? Qu'est ce qui me fait croire que vous me dites la vérité ? Que je parle bien ? Que je vous plaît ?... Cela nous conduit à la troisième étape : qu'est-ce qui va me permettre de tenir quelque chose  pour vrai ? Est-ce seulement le discours qui entraîne la confiance qui est vraie ? Mais tous les escrocs et les gourous entraînent la confiance... Derrière un acte, une parole, il peut y avoir un calcul. Qu'est-ce qui prouve que paroles et actes abordent aux rivages de la vérité, qu'ils ne mentent pas trop ? C'est qu'il n'y a pas de calcul, autrement dit qu'il n'y a pas, derrière, de l'hypocrisie. Ce mot est très important car "crisis" c'est le jugement, l'estimation... "Hypo", c'est en-dessous, cela vise une parole double. Alors comment voir qu'il n'y a pas double discours ?..."

Mgr Albert Rouet continue : "c'est ma 4ème étape. Comment peut-on détecter la simplicité d'une parole ou d'un acte ? S'ils sont doubles, ils sont hypocrites. Y-a-t-il un discours simple, limpide, qui fait que je peux accorder ma confiance à cette personne ? Qu'il n'y ait pas d'intérêt subreptice... La parole qui mérite confiance est d'abord désintéressée. La raison de la confiance, c'est la confiance elle-même, c'est la gratuité. Si on a un discours qui n'est lié à aucun acte, à quoi ça sert de parler, à quoi ça sert d'agir ? Vrai problème : dans l'Evangile, il est écrit "Faites ce qu'ils vous disent, mais ne suivez pas leurs actes". Des gens qui disent vrai et dont les actes sont faux..."

"Deux cas : parole vraie et actes faux, ou l'inverse..."

"Il faut essayer de comprendre que l'homme est un être fragile" explique à la tribune Mgr Albert Rouet, sans aucune note devant les yeux, tout comme M. Guillebeaud d'ailleurs ! "Ce qui fait à mes yeux la vérité d'un acte ou d'une parole, c'est que même si celui qui parle échoue à unifier paroles et actes, et c'est notre cas à tous, on sent que ce qu'il dit pousse à faire l'unité entre la parole et l'acte. Ce que je cherche dans la parole des gens que j'écoute, ce n'est pas l'unité de la parole et des actes, de toutes façons ça n'existe pas. Ce sont des gens qui vont travailler leur vie, leur parole, leurs actes, vers une unité vers laquelle ils avancent, même s'ils ne la vivent pas encore complètement. Témoigner de cet échec relatif, témoigner de notre pauvreté, appartient à la confiance que quelqu'un mérite. On ne porte pas confiance à quelqu'un qui réussirait tout, mais à quelqu'un qui lutte pour que sa parole et ses actes ne soient pas trop divergents. Quand on essaie d'être vrai, on ne peut qu'être humble, parce qu'on ne possède pas la vérité, parce que nos paroles nous échappent, n'arrivent pas à se faire comprendre, parce que nos actes sont insuffisants. Et donc, c'est cette reconnaissance de notre fragilité, de notre humilité qui à mes yeux donne crédit à la parole tournée vers des actes et à des actes expliqués par la parole". Mgr Rouet a été, à ce moment-là, très applaudi par l'assistance.

Oser penser par nous-mêmes

Au-delà de ce profond développement, Mgr Albert Rouet a relevé dans la ligne de ce que disait Jean-Claude Guillebeaud, l'étiolement du "Je", du positionnement personnel réfléchi, dans notre société moderne où domine, comme l'avait repéré Martin Heidegger, le règne du "On". Il a plaidé pour que nous apprenions à réinvestir ce "Je", à oser penser par nous-mêmes. Sans que nous en ayons pleinement conscience, les institutions, qui organisent notre travail et notre vie sociale, nous inclinent passivement à agir et à penser selon leurs intérêts et leurs régimes administratifs. L'intervenant explique: "Une parole anonyme est venue remplacer la parole engagée. Même si ils emploient le pronom "je", beaucoup de gens s'expriment au niveau du "on", car ce qui parle en eux, c'est le reflet de leur position sociale, de leur appartenance régionale ou politique, de ce qu'ils entendent à la télévision... On est assaillis de paroles de gens qui disent "Je" alors qu'en réalité derrière le "Je", c'est leur position, leur situation, leurs intérêts, le "on" qui parle... Ils "sont parlés" par l'opinion, ce qu'il faut dire, ce que la pensée commune vous pousse à dire, car c'est dans l'air du temps, suivant le discours de leur appartenance sociale".

En 2ème partie de cette rencontre-débat de l'ARES, de nombreux échanges ont eu lieu avec la salle, notamment au sujet de développements sur la sincérité, "à géométrie variable", sur l'exigence et la responsabilité de "consentir au réel", sur la véracité, etc. Et Mgr Rouet aborde avec humour le sujet : « il faut une institution, c’est le squelette. S’il n’y a pas de squelette, cela ne tient pas debout. Souvent, le squelette il a de l’arthrose, des rhumatismes... Il y a des gens qui se soumettent à l’institution et quand ils parlent, c’est leur peur qui parle. C’est vrai pour toutes les institutions. Le cœur de ma pensée c’est que l’institution n’est pas une parole. Elle n’a pas à parler mais à instituer, des gens qui parlent. Vous êtes membre d’institutions : conseil municipal, groupe scolaire, corps médical,... » L’Evêque en profite pour ajouter au passage : « jamais j’ai eu l’impression que l’Eglise m’a confisqué la parole ». Et il explique : « si l’institution ne vous rend pas libre, c’est bien qu’elle ne remplit pas son rôle... Pour moi, l’institution n’a pas à parler ».

Pour conclure, après 72 rencontres-débats de l'ARES, l'initiateur de ces soirées, Henri Delage, a annoncé un nouveau fonctionnement ainsi que les possibles prochains thèmes (la tolérance, l’emprise au sein du couple, l’humanité qui s’exprime au Cameroun et en France...), tout en rappelant la devise de l'Atelier : "Ici, la parole est complètement libre, d'ailleurs la seule règle de l'ARES, c'est écouter la parole de l'autre avec suffisamment de bienveillance et d'attention jusqu'à être capable de changer d'opinion".

- *ARES : Atelier de réflexion éthique et sociale, site internet

- La page Facebook de Jean-Claude Guillebeaud

- Interview audio Cristal fm : Jean-Claude Guillebeaud, invité par l'ARES au Lardin, nous dit pourquoi il a accepté de participer à ce débat-rencontre avec Mgr Rouet sur le thème Les actes et les paroles

NOS PARTENAIRES :
Communauté de Communes du Terrassonnais en Périgord noir-Thenon-Hautefort ; Terrasson-Lavilledieu ; Montignac ; Pazayac ; Beauregard-de-Terrasson ; Badefols d'Ans ; Condat-sur-Vézère ; La Bachellerie ; Le Lardin-Saint-Lazare  ; Saint-Rabier ; Thenon ; Peyrignac ; Cublac ; La Feuillade ; Chavagnac ; La Cassagne ; Châtres ; Coly ; Grèzes ; Aubas ; Villac ; Azerat ; Ladornac ; Tourtoirac
Conseil Départemental Dordogne