15
Mai
2019

Jean Boissserie, dinandier d'art

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EWANews - Portraits

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Après avoir réalisé un splendide carnyx, instrument gaulois en forme de trompe à tête d'animal, réplique parfaite de l'un des plus beaux carnyx découverts en 2004 sur l'ancien site des arènes de Tintignac en Corrèze, Jean Boisserie, dinandier d'art passionné, vient d'enrichir encore sa contribution à l'archéo-musicologie en honorant une  commande originale : faire la reproduction d'une cornu étrusque dite "Cornu de la tombe des reliefs"pour l'Institut viennois de la culture antique. Dans une communication très dense où il fait état de ses recherches et de l'aide d'un grand archéo-musicologue britannique, Peter Holmes, pour parvenir à retrouver les caractéristiques techniques de cet instrument et permettre d'en jouer au plus proche de sa nature originelle, Jean Boisserie s'émerveille:"Lorsque je suis devenu Compagnon, j'étais loin d'imaginer qu'au moment de la construction  du temple de Salomon, on battait la feuille de bronze avec une aussi grande dextérité!"

Il explique le contexte et le niveau de technicité de ces fabrications étrusques: "L'Etrurie antique occupait une grande partie de l'Italie du nord depuis l'âge du fer soit environ X siècles avant Jésus- Christ. Cette civilisation a précédé la civilisation romaine et a laissé derrière elle de nombreuses preuves de sa considérable maîtrise de la métallurgie. L'âge du fer, surtout dans sa seconde partie a permis de fabriquer des outils plus résistants et plus efficaces que les outils de bronze. C'est grâce au fer enrichi en carbone (acier) que des marteaux plus résistants ont rendu possible le martelage des galettes de bronze fondues, pour en faire la tôle de bronze, qui a donné naissance à des objets, récipients et instruments divers, capables de durer des siècles voire plus de deux millénaires...

Les Etrusques ont laissé d'étonnantes et vastes nécropoles à Tarquinia et Cerviteri entre autres. Ces tombeaux, souterrains et taillés à même le tuf, étaient richement décorés de peintures et de sculptures. La nécropole de Cerviteri compte plus de 2000 tombes, et la célèbre "tomba dei rilievi"(tombe des reliefs) qui en fait partie, (IV° siècle av J.C.), est ornée de deux "cornus" ou cornes (trompes), sculptées dans la pierre. Les anciens avaient utilisé des cornes de bovidés pour en faire d'antiques instruments de musique, le terme de "cornu" pour cet instrument plus évolué, garde mémoire de ces origines.

Cet instrument, retrouvé sur le site grandeur nature, est pratiquement semblable à d'autres découverts à Pompéi en mauvais état et exposés au musée de Naples, avec quelques variations dans le diamètre de la tubulure et du pavillon. Il est réalisé en feuilles de bronze martelées et assemblées par brasure à l'étain. Sa forme ovale est harmonieuse avec la traverse qui sert à la fois à le tenir, assurer sa solidité et son esthétique. Son embouchure n'est pas très éloignée de celle d'un trombone moderne...  Chaque tronçon situé entre deux bagues d'assemblage apparentes sur l'objet, est réalisé en deux parties symétriques appelées coquilles. Ces pièces sont relativement difficiles à réaliser en bronze car elles sont cintrées, à section circulaire variable. Si l'on pouvait redresser l'axe de la tubulure on obtiendrait un tronc de cône.  A l'origine il est probable que les orfèvres de l'époque ont sculpté la forme en creux dans du bois dur comme le cormier ou le sorbier et ont embouti la feuille de bronze directement sur cette forme de bois. Afin de pouvoir reproduire plusieurs pièces sans déformation, j'ai préféré réaliser des profils en acier doux aux dimensions du dessin d'exécution, soit une forme gauche et une droite puisque les deux coquilles sont symétriques par rapport au plan  de l'axe des tubulures. La plus grande dimension de l'objet est de 70 centimètres et sa tubulure commence à 23mm de diamètre à l'embouchure pour terminer à 115mm de diamètre au pavillon, il pèse en tout 2kg 900.

Dans ma reproduction, ce qui diffère de l'original est le fait qu'il m'a été demandé de faire un instrument démontable, car il risque de voyager à travers la planète, puis les musiciens ont souhaité que le dernier élément avant l'embouchure soit télescopique afin de pouvoir faire varier sa longueur et accorder sa sonorité. Vu sa forme, c'était un véritable défi car tous les assemblages réalisés au marteau sur des parties ovales devaient être parfaits sans aucune fuite d'air, et il fallait que le système permettant l'assemblage reste le plus discret possible... Il m'a fallu 9 heures rien que pour affiner l'assemblage des deux éléments principaux, le rodage à l'émeri étant très délicat en raison du caractère cintré de la structure!"...

Jean Boisserie conclut cet entretien en mesurant tout ce que cette commande et les recherches afférentes, lui ont apporté :"Pour moi, reproduire un tel objet, est une belle aventure qui m'a offert un beau voyage dans le passé sans perdre pour autant les avantages de notre vie actuelle. C'est aussi une source de réflexion sur la façon de travailler des anciens. Tout au long de mon parcours professionnel, avant même de savoir que je me passionnerai pour l'archéologie, j'ai cultivé le travail de la main me gardant bien de mécaniser quoi que ce soit. Je  me suis enrichi d'un trésor inépuisable avec la découverte des techniques anciennes."

Les archéo-musicologues et tous ceux qui s'interrogent  sur nos ancêtres, curieux de connaître les sonorités de leurs instruments, saluent ce précieux travail. Merci Monsieur Jean Boisserie qui avec avez redonné vie à la cornu étrusque restée muette depuis des millénaires! S.D. (article du 2 février 2018)