Vendredi soir 11 février 2022 à la Distillerie de Terrasson, une quarantaine de personnes venues assister au spectacle « Antigone et moi », création d’Ana Maria Venegas, a découvert une étonnante et bouleversante Antigone. Aucune mémoire de la tragédie de Sophocle ou de la pièce d’Anouilh, écrite dans le contexte de l’Occupation nazie, n’aurait su l’imaginer en clown ! Et pourtant, c’est bien la même que ce public a rencontré en plein coeur, l’éternelle et toujours actuelle Antigone, qui pour être en accord avec soi, avec l’innégociable loi morale en soi, refuse d’obéir à la loi d’un pouvoir arbitraire, quels que soient les mécanismes de la violence qu’il peut exercer…
Se saisir du mythe et de la personne d’Antigone par le clown, et ce clown, « Paquita », créé par l’actrice et metteuse en scène chilienne Ana Maria Venegas, il y a une quinzaine d’années, c’est inventer une incarnation qui nous relie tout autrement à la tragédie indéfiniment répétée de l’histoire humaine, hélas si familière qu’il est possible d’en rire autant que d’en pleurer… Mais le rire du clown n’est jamais l’envers du tragique, il le dévoile poétiquement et le fait éprouver à nu, dans l’intime, à fleur d’humanité sensible… Cette Antigone Paquita, capable des improvisations les plus folles au plan expressif et scénique, qui interpelle le public de façon si personnelle et proche, et va au besoin chercher sa participation sur scène pour donner chair à Ismène ou Créon devant un palais royal de cartons, se livre elle-même totalement.
Elle est Antigone, cette Antigone qui « la hante » depuis longtemps, « depuis un travail profond et bouleversant avec Philippe Hottier de l’école Mnouchkine », comme à travers sa lecture des auteurs qui, de Sophocle à Georges Steiner en passant par Bauchau, Brecht, Cheng, et Miller s’en sont saisis… A l’évidence, elle ne conçoit pas son art théâtral sans cet engagement à interroger, décentrer, déranger nos consciences devant les lissages de l’ordre établi… « Exclusion, violence, pouvoir, rapports de force, injustice: tout cela me paraît terriblement dʼactualité » dit-elle, et c’est bien vrai. Le spectacle ne se retient pas de citer d’ailleurs, en clins d’oeil furtifs, une ou deux références à notre contexte social et politique, et chacun se trouve investi dans sa propre vie de la question des exigences de la liberté : peut-elle accepter le compromis ? jusqu’où ?
Si par la fabuleuse prestation de Paquita, la distance de la tragédie avec la stature symbolique d’Antigone est à la fois franchie, gommée et réinventée, c’est en réalité à la recherche de l’Antigone qui habite en chacun de nous, éveillée ou endormie, que plonge le regard du clown. Car nous pouvons tous ressentir un jour la tragique solitude de l’individu sans recours devant l’injustice ou le mécanisme froid d’un système qui l’exclut ou le nie. C’est à cette solitude individuelle fondamentale que nous devons une réponse sur ce qui nous rend vraiment libres et vivants, et cela passe peut-être avant tout par désobéir à nos peurs…
Un grand merci à Jean-Paul Daniel directeur artistique de la Distillerie et à Séverine Garde-Massias co-directrice artistique, pour cette magnifique soirée, achevée par un long moment de partage autour d’un verre avec l’actrice-clown Ana Maria Venegas, de la compagnie Théâtre au Vent. Clown et metteuse en scène pour ce spectacle, elle a été accompagnée par Yves Verbiese pour son regard extérieur et par Franck Roncière en régie son et lumière.
Ajoutons que l’OARA de Bordeaux (Office artistique de la nouvelle région Aquitaine), a fait confiance à Théâtre au vent et au travail du clown de Paquita en aidant à la première création de « Paquita de Los Colores », et que pour le 4 mars 2022 l’artiste Paquita sera au studio théâtre 71 de Bordeaux dans « La Nuit des récits ». Noter également qu’elle donne un stage de clown du 17 au 21 février à L’Accordeur à Saint Denis de Pile. (stage complet).
Le public que l’on aurait souhaité plus nombreux, et qui a été réellement transporté par la prestation du clown Paquita Antigone, a également beaucoup apprécié dans la grande salle d’entrée de la Distillerie l’exposition des photos noir et blanc de Sylvain Marchou avec des textes de Nicolas Tendas : « Un jour la terre, Paroles du Causse », regards sur des paysans corréziens marqués par leurs vies de labeur.
On ne saurait trop vous inviter à venir à La Distillerie, lieu de culture plein de promesses, et qui propose pour la semaine prochaine mercredi 16 février à 20h30 « Chère nuit gris-bleu », un spectacle de clowns hautement poétique, hautement politique, dans une mise en scène et un jeu de clowns de Clément et Thomas Delpérié, membres du collectif Zavtra.