Gisèle Halimi, une vie à Défendre les Droits humains

La Distillerie à Terrasson a fait salle comble pour sa soirée du 10 mars 2023, « Gisèle Halimi, Défendre! ». Comme si le public votait à l’unanimité par sa présence. Venu sans doute écouter la parole de cette femme, grande avocate, connue de tous, il disait aussi implicitement quelque chose de son admiration et sa reconnaissance à l’égard de ses principaux combats. Née le 27 juillet 1927 en Tunisie et décédée le 28 juillet 2020 à Paris, elle a sa vie durant, lutté contre les injustices, et défendu avec une ténacité sans faille les droits humains, notamment le droit des femmes et des peuples à disposer d’eux-mêmes.

La comédienne Marie Ragu de la Cie L’Ouvrage de Thouars, elle-même sincèrement interpellée par l’insoumission et le féminisme de Gisèle Halimi, a tenu à l’incarner pour lui rendre hommage. Dans l’affligeant contexte des atermoiements qui ont suspendu son entrée au Panthéon, outre la tardive cérémonie qui lui fut consacrée le 8 mars dernier, journée internationale des Droits des femmes, cet acte théâtral est un manifeste. Il ne veut pas d’une reconnaissance éteinte, tournée vers le passé ou passive. En nous faisant revivre par ses mots des pans essentiels de son histoire et de ses plaidoiries, il montre à quel point le travail entrepris par Gisèle H est incessamment à mener, à poursuivre aujourd’hui, devant les violences faites aux femmes dans notre société (30 féminicides en France depuis janvier 2023), devant les injustices que de nouvelles lois permettraient encore…

Toute la qualité de ce spectacle est là, dans un solo intense, où Marie Ragu incarne tout à la fois la force morale et la fragilité physique de Gisèle Halimi, la puissance de ses révoltes contre un système patriarcal sourd aux souffrances des femmes, les accusant elles-mêmes des violences subies par le fait de certains hommes, notamment dans l’acte ignominieux du viol. La mise en scène sobre et efficace d’Alice Geairon, soutenue par le rythme du travail des lumières de Marie-Edith Leyssene en régie, sous le regard de Virginie Daudin, est intégralement au service du montage textuel qu’elle a construit, puisant directement dans les écrits et les enregistrements de l’avocate. On y retrouve des réflexions et des actes d’enfant, très tôt rebelle aux dictats du patriarcat tunisien, comme cette grève de la faim qu’elle fait à 12 ans pour refuser de servir ses frères et par laquelle elle parvient à ses fins, écrivant dans son journal intime : « aujourd’hui j’ai gagné mon premier petit bout de liberté! ».

Mais on mesure aussi et surtout  la force de ses plaidoyers et de ses positionnements politiques contre l’injustice et pour le respect des droits fondamentaux de l’humain. Avec courage, face au risque de se faire arrêter et discréditer, comme elle le fut, elle a, entre autres causes, défendu des syndicalistes tunisiens contre le pouvoir en place, dénoncé les atrocités (tortures et viols) pratiquées par l’armée française en Algérie (avec notamment l’affaire Djamila Boupacha 60-62) et soutenu le Mouvement National Algérien. En 1971, elle fut la seule avocate à signer le « Manifeste des 343 » rédigé par Simone de Beauvoir pour réclamer la dépénalisation de l’avortement et droit à la contraception.

Parce que donner la vie est un acte qui doit sourdre « de la volonté et de la responsabilité », elle refuse absolument que des femmes comme la jeune Marie-Claire Chevalier, mineure qu’elle a défendue avec quatre autres femmes, au procès de Bobigny en 1972, soient contraintes par la loi de garder l’enfant né d’un viol, elle refuse que cette même loi condamne les personnes qui ont pratiqué ou aidé à pratiquer un avortement. Simone Weil reprendra le flambeau, comme on sait, en tant que ministre de la santé, s’indignant du scandale sanitaire des avortements clandestins avec les décès qui s’ensuivaient, et inscrira enfin le droit à l’avortement dans la loi du 17 janvier 1975, (renforcée le 2 mars 2022 par une loi allongeant de deux semaines le délai de recours, son inscription dans la Constitution étant encore attendue).

Au delà de la force de ce spectacle, et des remerciements à adresser à la Distillerie et à la Compagnie théâtrale qui l’ont produit, c’est vers les livres de Gisèle Halimi disponibles en librairie et vers la poursuite actuelle de son combat pour les droits humains, justice et liberté avant tout, que peut s’orienter l’hommage personnel et plus intime de chacune et chacun. Dans une époque où les revendications identitaires et genrées, ajoutent parfois insidieusement des violences aux violences qu’elles entendent dénoncer, l’oeuvre de Gisèle Halimi toujours ancrée dans l’action juridictionnelle reste tendue vers l’espoir de voir se dessiner enfin une société fondée sur une autre culture des rapports entre les hommes et les femmes, mus par un respect égal  et réciproque. Elle constitue pour notre présent une source revigorante, par les perspectives de réflexion, d’émancipation, et d’action qu’elle trace et nous livre, pleines de clarté et de sens.

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