Vendredi soir 8 mars 2024, journée internationale du droit des femmes, La Distillerie de Terrasson ne pouvait faire meilleure programmation que de présenter « Norma Jeane Baker de Troie » de Anne Carson, dans une traduction de Edouard Louis. Ce texte étonnant et complexe, tant il brouille les plans en faisant affleurer le plus proche, le présent, aux bords du regard le plus lointain, depuis les mots et les mythes grecs, unit étrangement les destins de Marilyn Monroe, née Norma Jean Baker, et Hélène de Troie, en transcendant époques et lieux pour dire l’universelle figure de la femme broyée par une domination masculine qui l’utilise et la nie dans son intime singularité.
Le public, fasciné par l’intensité du jeu de Marine Bernard de Bayser, de la Compagnie Théâtre sur le Fil, seule sur le plateau dans un fauteuil rouge vif, choisi par une mise en scène dépouillée et efficace construite avec Jean Paul Daniel, se laisse emporter…Et de colères en détresses, d’explosions émotionnelles en ressacs de silence et d’apaisement, à l’écoute d’une magnifique version de « A house is not a home » chantée par Pearl Bailey, ce spectacle offre un enchevêtrement de fils d’Ariane qui cherchent le jour depuis le labyrinthe d’une réalité où s’exerce toujours la même tragédie des dominations destructrices de l’autre. Domination négatrice de la femme, domination négatrice de l’homme qui se détruit lui même dans un simulacre de puissance où la guerre lui montre finalement combien il est petit et vulnérable…
La grande force de ce texte est sans doute de révéler, dans la vérité de la souffrance humaine, la vanité, le vide de ce qui n’est pas plus consistant qu’un « nuage »: la supercherie des illusions où la grande Histoire comme nos histoires personnelles se piègent pour le pire. C’est fondamentalement un cri, qui ouvre sur une profonde invitation à en finir avec la lamentable répétition des stratégies destructrices qui broient les êtres, les exploitent et les jettent au lieu de les accueillir et rencontrer pour eux-mêmes.
La comédienne Marine Bernard de Bayser, sublime dans ce rôle, on peut oser le dire, a dédié le spectacle à un jeune ami récemment disparu et aux femmes qui souffrent aujourd’hui dans la guerre, à Gaza, en Ukraine et ailleurs… Elle ajoute dans un écrit sur ce travail, « c’est en mémoire de toutes celles et ceux qui ont subi les combats, l’esclavage, la torture, le viol, la tromperie, l’humiliation, la perte matérielle et humaine, la déchéance plus ou moins rapide vers la folie pour ne plus souffrir leurs réalités, c’est pour toutes ces femmes qui encore aujourd’hui sont objets et victimes de la domination masculine, c’est un cri de guerre pour qu’advienne la paix, c’est une diatribe contre les loups d’Hollywood qui n’ont pas fini de s’exporter ».
Oui malheureusement, la tragédie n’en finit pas de rester actuelle et l’on aimerait tant que les dénonciations contemporaines obtiennent de transformer les choses, mais que peut-on espérer dans ce monde où domine encore l’agression guerrière, machine à écraser et éliminer des vies? Il y a du travail, beaucoup de travail… Cependant, les oeuvres d’art sont d’immenses sources pour évoluer, et nous saluons la force de cette pièce d’Anne Carson si magistralement interprétée à La Distillerie ce 8 mai 2024 avec Frank Roncière à la création Lumières, pour ce qu’elle télescope dans les consciences, et vient semer…
Le prochain spectacle qui sera donné à La Distillerie présentera « La Terre est Bleue » avec Les Voyageurs de Mots pour un parcours de lectures théâtralisées à travers l’oeuvre poétique de Paul Eluard, jeudi 21 mars 2024 à 20H
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