Mort de Chien: Théâtre expressionniste à la Distillerie

Les tréteaux de La Distillerie ont rassemblé beaucoup de monde samedi soir 17 décembre pour « Mort de Chien » d’Hugo Claus dans une mise en scène de Jean-Paul Daniel.  Spectacle certes difficile et dérangeant, dans le contexte glauque d’une maison de prostitution où la domination masculine inscrit sa violence dans le corps et la vie des femmes, mais spectacle qui n’a laissé personne indifférent et qui dans sa forte intensité théâtrale a suscité beaucoup de réactions et de discussions au moment du pot avec les acteurs et le metteur en scène.

Mira, jouée de façon époustouflante par Marine Bernard de Bayser, est une splendide entraîneuse du bar Mimosa dont la mère Mimi, jouée par Séverine Garde-Massias, est la patronne un peu perdue qui confie ses angoisses à Puma, son chien réduit en cendres dans une urne. Mira met tous les hommes dans sa poche, mais depuis l’assassinat de son amie  Janine du bar voisin, elle a peur…Georges, son souteneur et amant, journaliste au Courrier de la Lys pour les arts plastiques, en est très ennuyé… Là encore le rôle est puissamment investi par Teymuraz Glonti. PJ et Frans, étranges personnages d’inspecteurs interprétés par Yann Karaquillo et Paul Eguisier, mènent l’enquête à leur manière, dérivante…Au plan scénographique, le spectacle se structure selon un parti pris à la fois expressionniste et baroque, mettant à nu les souffrances de Mira, piégée en quelque sorte comme sa mère dans une vie de putain minée par l’abandon de son père, Zoro…Les personnages masculins tirent les ficelles de ce monde de crime, de mensonges et de plaisirs facturés, et s’ils semblent parfois vouloir protéger leurs proies, ils sapent leur univers de toute issue et de  toute valeur…

La pièce entière gravite autour de Mira, solaire dans son désir de vie et de mort, de Mimi sa mère, lunaire, jouée avec une immense finesse par Séverine Garde-Massias, et scande leur quête d’amour vrai étouffée par tout ce qui la nie. De tableaux de transe dansée en tableaux statiques éclairés comme des Caravage, la scène offre un jeu subtil de citations et de symboles. C’est comme une chorégraphie des corps qui luttent et se heurtent à leurs propres démons, les gisants rappelant parfois les peintures de Goya, d’Ensor ou de Francis Bacon… Elle culmine au final dans un tableau décalé et quasi mystique où Mira trouve enfin complétude et libération sacrificielle dans le coeur sanglant  de son père glorieux qui en mourant l’a reconnue et saluée d’un « Je vous salue Mira… »

Ce spectacle tient de la prouesse et du coup de force par ce qu’il demande aux acteurs, qui s’y donnent à trois cent pour cent, par ce qu’il demande aussi aux spectateurs tant il est intense  et complexe, parfois choquant, et par sa mise en scène profondément réfléchie et pensée, « au millimètre près ». Hugo Claus n’est plus de ce monde, mais il aurait certainement aimé cette interprétation de son texte, dans le droit fil de ses intentions dramaturgiques. Chapeau bas aux extraordinaires prestations des acteurs et à la densité du travail de conception scénique qu’y a investi le metteur en scène Jean-Paul Daniel.

2eme représentation ce dimanche 18 décembre 2022 à 17h à la Distillerie.

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