2023. Retour sur l’innommable génocide des Tutsi

La venue d’Adelaïde Mukantabana, écrivaine rwandaise, survivante du génocide des Tutsi, à la Médiathèque de Terrasson jeudi 27 avril 2023, pour présenter ses livres et parler aux lycéens l’après-midi, à un trop mince public le soir, a été une rencontre de très haute densité, qui a marqué l’auditoire et fait progresser la vérité en levant de scandaleux mensonges sur ce génocide. Souvenez-vous de ce qui a été dit en France et dans le monde quand s’est abattue sur le Rwanda une « folie meurtrière » telle qu’en 100 jours, du 6 avril, (date de l’attentat qui a coûté la vie au président  Juvénal Habyarimana) au 4 juillet 1994, plus d’un million de personnes, majoritairement des Tutsi ont été exterminés. L’origine de ces massacres a été tenue à l’époque pour un conflit inter-ethnique par des politiques en réalité largement responsables de ce qui est arrivé. Adélaïde Mukantabana avait 32 ans et était enseignante, elle a pu arriver en France en juin 1994, presque toute sa famille ayant été décimée.

« J’écris pour ne pas parler ». C’est par une réflexion bouleversante sur ce qui l’a poussée à écrire alors qu’elle n’avait pas de mots pour dire l’innommable, que l’autrice a commencé la présentation de ses deux ouvrages : « L’innommable Agahomamunwa, un récit du génocide des Tutsi », paru en 2016 aux éditions L’Harmattan, et « Apaiser la Mémoire » Conversation avec mon frère Jean », paru en 2022 chez le même éditeur. Elle qui a voulu protéger ses enfants en se taisant sur ce passé trop douloureux a trouvé dans l’écriture la seule issue possible pour continuer à vivre en témoignant pour ceux qui sont morts. Elle fait dans ces livres un récit poignant et plein de force, de sincérité et d’acuité intellectuelle, du drame qui a détruit le Rwanda. Son propos auscultant le passé est cependant tourné vers l’avenir, car il est tout entier tendu par l’espoir de réveiller les consciences, et de faire retrouver le sens de la vérité et de l’humanité à notre monde désorienté.

Beaucoup de questions ont été posées dans la salle et Adélaïde Mukantabana a répondu de façon très éclairante. Il n’y a jamais eu à proprement parler au Rwanda la moindre ethnie Hutu, Tutsie, ni Twa. Lorsque les Belges sont arrivés après la première guerre mondiale pour coloniser cette société complexe, très organisée, ils ont commencé à lui imposer ces distinctions, déjà suscitées par la brève colonisation allemande et ses catégorisations raciales, suivant la règle du « diviser pour mieux régner ». Ils ont imposé en 1931 que les cartes d’identité cochent la mention Hutu, Tutsi, ou Twa, noms qui désignent en langue rwandaise respectivement les agriculteurs, les éleveurs, et les chasseurs-cueilleurs (à l’origine de la région des grands lacs). Ces cartes ont joué un rôle important dans le génocide car elles ont permis aux miliciens Hutu de reconnaître et de lister les Tutsi à exterminer, suivant l’appel au « travail » relayé dans des médias comme la radio télévision des Mille Collines…

Si il y a eu bien avant 1994 plusieurs massacres de Tutsi, contraints de fuir dans les pays limitrophes, il faut rappeler que l’orchestration de la rivalité et de la haine remonte loin, et qu’elle n’a cessé d’être renforcée depuis l’indépendance. Le pouvoir autoritaire de Juvenal Habyarimana a mis en place dès 1973 une politique pro-Hutu, jusqu’à la guerre civile de 1990 où son armée s’est opposée violemment  au retour des Tutsi mené par le Front Patriotique Rwandais (FPR), groupe rebelle Tutsi mené par Paul Kagame, devenu l’actuel chef de l’Etat. La vente d’armes en quantités considérables, notamment par la France, son appui au régime en place en  multipliant par dix en deux ans le faible contingent de l’armée rwandaise, l’intervention très tardive de l’opération Turquoise en juin 1994, la surdité des politiques aux alertes lancées d’un risque de génocide…tout cela confirme la lourde responsabilité de l’Etat français, reconnue par le rapport d’enquête de plus de 1000 pages dirigé par Mr Vincent Duclert et remis à Emmanuel Macron le 23 mars 2021.

Aujourd’hui le pays se reconstruit mais les plaies ne sont pas refermées. Il faudra du temps, d’autres recherches et procès en justice, des échanges aussi et des livres comme ceux d’Adélaïde Mukantabana pour retrouver l’unité et l’humanité si tragiquement perdues en 1994.

Membre fondatrice de l’association Ibuka-France « Souviens-toi », Adelaïde Mukantabana a également participé à la création de l’association Cauri depuis 2004. Cette association, dont elle est la présidente a pour but essentiel de « rechercher la vérité, d’informer et de soutenir la mémoire du génocide des Tutsi rwandais ». Merci à elle pour son oeuvre et son dévouement entier à cette cause qui est plus largement la cause des droits humains universels.

N.B.: Les ouvrages d’Adélaïde Mukantabana cités plus haut sont disponibles à l’emprunt pour votre lecture à la Médiathèque Simone Weil de Terrasson.

 

 

 

 

 

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